L’Afrique est aujourd’hui le lieu de toutes les convoitises. Ce continent connaît une forte croissance démographique et économique, ce qui attire les investisseurs africains et étrangers. Comme le précise le président de la Banque africaine de développement, Akinwumi Adesina, « la situation du continent est bonne. Les performances économiques générales de l’Afrique continuent de s’améliorer ». On ne peut que s’en réjouir, comme Africain mais aussi comme Européen, tant le destin des deux continents est solidairement lié.
Malgré tout, comme l’indique l’indice de perception de la corruption 2018 de Transparency International, la corruption y est considérée comme la plus élevée du monde : « la corruption est un facteur qui contribue à la crise de la démocratie », produisant « un cercle vicieux en sapant les institutions démocratiques ». On peut dès lors s’étonner que la présidente du FMI, Madame Christine Lagarde, n’ait donné à ce sujet la priorité sur les autres que si récemment !
Du fait de son développement rapide, l’Afrique attire les convoitises et l’intérêt non seulement des investisseurs mais également des autorités, nationales et internationales (le DoJ, le SFO, le Groupe d’Action Financière (GAFI)), ainsi que des tribunaux de nombreuses juridictions.
Plusieurs initiatives ont été prises par les pays africains, multilatérales ou nationales, afin de se conformer aux règles nationales et internationales de lutte contre la corruption et de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, dans le large sillage de l’action des Américains et de leur Patriot Act.
L’Union africaine est une organisation qui lutte contre la corruption à travers plusieurs programmes afin de la renforcer. La Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption adoptée par la 2e session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine à Maputo, le 11 juillet 2003 est un des textes les plus élaborés et les plus complets au niveau mondial de prévention et de lutte contre la corruption dans un contexte multilatéral.
Au-delà de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, dont les principes sont bien connus, plusieurs initiatives complémentaires ont été initiées.
Tout d’abord, l’initiative de l’ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives) mérite l’attention : c’est une organisation internationale chargée de maintenir à jour et de superviser la mise en œuvre d’une norme mondiale pour la promotion d’une gouvernance ouverte et redevable des ressources pétrolières, gazière et minérale. Cette organisation internationale agit dans plusieurs pays et notamment en Afrique. Selon Muhammadu Buhari, président du Nigéria, « l’ITIE a renforcé les capacités des citoyens en leur donnant accès à des informations cruciales qu’ils peuvent utiliser pour demander des comptes au gouvernement et aux autres acteurs dans les industries extractives et pour formuler des recommandations en faveur de réformes dans ces secteurs stratégiques de notre vie nationale ».
Un manque de transparence, une mauvaise gouvernance et une mauvaise gestion des flux monétaires pourraient alimenter la corruption, conduire au déclin des institutions des États et finalement se traduire par une opportunité manquée pour le développement.
Ainsi, afin de garantir plus de transparence et une bonne gouvernance des exploitations, la norme ITIE exige la divulgation d’informations sur l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur extractif, depuis l’octroi des droits d’extraction jusqu’à la manière dont les revenus parviennent au Gouvernement, et les bénéfices que le public en retire.
Est-elle appliquée parfaitement ? Nous savons que non. Constitue-elle une avancée ? Cela est indéniable.
« Le Botswana suscite une lueur d’espoir dans la lutte contre la corruption en Afrique et possède l’un des meilleurs profils de lutte contre la corruption sur le continent ». Telle est la déclaration faite par Said Adejumobi, directeur régional de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) pour l’Afrique australe, lors de la conférence régionale de trois jours sur le thème « Corruption et défi de la transformation économique en Afrique australe » à Gaborone, au Botswana, le 18 juin 2018.
Classé 33e dans le rapport 2018 de Transparency International (encore lui !), le Botswana occupe une place spéciale dans la lutte contre la corruption en Afrique en se situant au premier rang des pays les moins corrompus de la région. Classement toujours sujet à caution tant il est difficile d’établir des classements mesurant un phénomène occulte !
Du fait de l’exploitation rationnelle et rigoureuse de ses mines de diamants et de la bonne gouvernance de ses institutions et de ses dirigeants, le pays est devenu une forme de modèle.
Dès 1994, le Gouvernement du Botswana a mis en place un service indépendant et puissant, la Direction de lutte contre la corruption et la criminalité économique (DCEC), ayant pour mission spécifique de lutter contre ces deux fléaux.
Le président de la république du Botswana, Mokgweetsi Masisi, fait remarquer que de bonnes politiques en matière de comptabilité, de contrôle interne et de systèmes d’audit, une forte capacité des institutions anti-corruption et de contrôle et l’existence d’un État de droit sont essentielles pour lutter contre la corruption. La bonne gouvernance étant le corolaire à une lutte effective et efficace contre la corruption. Autant d’institutions qui font encore défaut à beaucoup de pays en Afrique… mais aussi ailleurs, parfois au Nord des Pyrénées et pas si loin de nous où certains groupes peuvent accuser des pertes en milliards sans que les autorités de gouvernance financière ne s’en soucient.
D’autres pays africains font aussi preuve d’initiatives. En 2007, l’Afrique du Sud a adhéré à la Convention anticorruption de l’OCDE a rejoint le Groupe de travail sur la corruption dans le cadre des transactions commerciales internationales, composé de représentants des 38 pays signataires, et surveille l’application et l’exécution de cette convention.
En juin 2010, le Groupe de travail a achevé la deuxième phase d’évolution de l’Afrique du Sud, selon laquelle le pays a fait des efforts très importants pour lutter contre la corruption, mais pourrait aller plus loin – c’est une évidence -. Un cycle vertueux a été enclenché, certes en partant de loin, mais une dynamique est en mouvement.
Il existe plusieurs ONG qui ont pour objectif de lutter contre les maux qui affectent l’Afrique tels que la corruption ou encore la mauvaise gouvernance.
Global Witness est une ONG basée à Londres, spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles (pétrole, bois, diamants) des pays en développement et la corruption politique qui l’accompagne.
Cela fait vingt-cinq ans que Global Witness mène des campagnes pionnières contre les conflits et la corruption liés aux ressources naturelles ainsi que contre les violations des droits environnementaux et des droits de l’Homme qui y sont associées. L’ONG a opéré plusieurs campagnes en révélant dans des pays comme le Congo, l’Angola ou encore la Sierra Leone, la brutalité et l’injustice engendrées par la lutte pour l’accès aux richesses naturelles et le contrôle de celles-ci. L’ONG cherche à faire rendre des comptes aux responsables de cette corruption et aux auteurs de ces conflits. « Sherpa » du monde anglo-saxon africain, elle est une pionnière dans l’activisme anti-corruption, souvent bête noire des entreprises et des investisseurs.
Africa Compliance Unit, dont l’objectif est la lutte contre la corruption et le blanchiment des capitaux dans les pays africains, l’aide au développement durable et l’assistance des populations fragiles dans la défense de leurs droits fondamentaux, est aussi un acteur incontournable.
Comme le rappelle Prosper Alagbe, Président du conseil d’administration d’Africa Compliance Unit, « Le développement économique durable et la lutte contre la pauvreté en Afrique passent en priorité par (…) l’encouragement de la bonne gouvernance, à travers, [d’une part], la promotion en Afrique des fonctions de contrôle au sein des entreprises et des organisations publiques et, [d’autre part], l’assistance aux populations fragiles dans la défense de leurs droits fondamentaux et dans la lutte qu’elles mènent au quotidien contre la pauvreté ».
Il existe d’autres associations ou ONG qui sont à l’origine de plusieurs initiatives pour améliorer la bonne gouvernance de l’Afrique et ainsi diminuer la corruption ou encore le blanchiment d’argent. Nous ne les citerons pas toutes. Toutes ne sont pas exemptes de critiques, notamment quant à l’origine de leurs ressources financières, mais les ONG occidentales sont-elles exemptes de critiques sur ce point ?
Au-delà de la lutte contre la fraude et la corruption, plusieurs initiatives sont en cours afin de renforcer la culture et les règles de compliance applicables à la vie économique en Afrique.
À titre d’exemple, nous pouvons mentionner la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme à travers les institutions créées par le GAFI et ses émanations régionales.
L’application par les États-Unis de ses règles de sanctions économiques et de contrôle des exportations à travers les règles et les actions de l’Office of Foreign Asset Control (OFAC) en est une autre illustration. À ce titre, il convient de mentionner que les pays africains sont les pays les plus sanctionnés par l’OFAC, l’Afrique étant la zone géographique la plus visée par ces règles américaines et pour cause : les pays sanctionnés le sont en raison de leur instabilité politique, de leur situation de guerres civiles ou sortie récente de guerre civile, mais aussi de la volonté de puissance des États-Unis, engagés à « encadrer » l’Afrique de leurs règles dominatrices.
L’existence de régimes autocratiques qui crée de graves atteintes aux droits de l’Homme et la faiblesse du cadre réglementaire de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme sont évidemment la justification logique de l’interventionnisme américain. L’histoire se répète ici bien platement.
Le rôle des banques est capital pour le développement de l’activité économique dans les pays africains en voie de développement puisque, notamment dans les schémas de blanchiment d’argent, certaines banques sont un des maillons faibles d’un long processus sapant l’intégrité du marché des services bancaires.
Les cultures traditionnelles africaines sont-elles par nature corrompues ?
Sans doute pas plus que celles de tout autre continent. Comme dans tout groupe humain, les relations individuelles et collectives engendrent des phénomènes de domination, terreau potentiel de corruption, mais qui ne sont pas nécessairement constitutifs de corruption et de fraude.
L’histoire de la domination coloniale est venue apporter de nouvelles relations de domination, elles-mêmes facteur de développement de comportements transgressifs.
Aujourd’hui, les nouveaux rapports de force qui traversent l’Afrique sont l’occasion d’autant de corruptions renouvelées mais également d’autant d’initiatives de prévention et de lutte dont les arrières pensés de domination souveraine ne sont évidemment pas exempts.
Auteur : Pierre Laporte
Directeur Exécutif du pôle Compliance